LES
CHRISTS
DE
STRUBEL
Nous
sommes loin des représentations lisses du plus célèbre
des suppliciés, loin des Christs bien découpés, comme
sortis d'un gymnase, et cloués par inadvertance sur une croix dont
nous inonde le marché de la foi; ce n'est pas un petit saignement
ici, un vague rictus là, pour preuve du sacrifice d'un homme, fût-il
le Messie, banalisé par les échoppes de Lourdes; ce n'est
pas davantage d'or et de diamants ce faste ignoble d'une part de l'Église
qui fit d'une plaie joyau et bijou d'un calvaire.
Seuls jusqu'ici les sublimes expressions de l'art religieux
tels les Primitifs Flamands, le Grunewald de Golmar, et les sculpteurs du
Moyen-âge avaient su m'introduire dans le mystère de la souffrance
de l'un témoignant de la souffrance de tous.
Mais Strubel dépasse les bornes du modèle immuable.
En les dépassant, il renouvelle et rafraîchit notre intuition
de la douleur éternelle. Ses crucifixions rameutent en elles la violence
sans âge de la passion des pauvres et des persécutés.
Il remonte jusqu'au visage insondable de la pitié et de la mort, et c'est tout l'nefer terrestre des mals aimés de la vie qui s'arrache ainsi au corps convulsif, et c'est la terreur, la plainte et la révoltes de l'âme enchaînée.
Les
frivoles n'y verront qu'une uvre dédivinisée, à
la limite du blasphématoire, alors qu'il s'agit d'un terrible retour
au sens. Pour ceux qui croient en Dieu, et pour ceux qui n'y croient pas,
Strubel recrucifie Jésus à sa manière, non pour rajouter
du crime de maintenant au crime de jadis, mais pour nous en rendre immédiate
et sensible la vérité de toujours :
une vérité pâlie voir parfois abolie par l'accoutumance,
c'est à dire la soumission au signe plus qu'à ce qu'il signifie,
au symbole plus qu'à ce qu'il symbolise.
L'artiste a su mettre les objets vils, les rebus, les laissés
pour compte de la matière, ouvrée ou non, au service d'une vision
de la folie qui nous grandit face à celle qui nous rapetisse. Il les
plie, les tord, les triture, les démantèle au gré de
son obsession de montreur d'absolu. Ce lyrisme de la chute de l'être
se hisse sans cesse à la mystique de sa rédemption. Les formes
les plus désespérées du réel trouvent dans ce
forcené de la transfiguration une promesse de salut.
Marcel MOREAU
Pour en savoir plus,
deux possibilités
René
STRUBEL ou René
STRUBEL
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