La baleine et le papillon
ou
«Comment réveiller l’Eglise de Jésus Christ»

Par J. Noyer, évêque retraité d’Amiens.
Témoignage Chrétien. de septembre 08

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Une homélie de Mgr Jacques Noyer* 25 janvier 2009

  J’aimerais pouvoir en ce jour de la Conversion de Paul me réjouir parce que des intégristes rejoignent le sein de la communauté. Paul lui aussi était un intégriste. Il nous le rappelle : c’est le zèle de la Loi, la fidélité aux traditions des Pères, l’attachement à l’image de Dieu qui le poussait à persécuter les fidèles du Christ. Sur le chemin de Damas, il rencontre le visage de Jésus qui l’arrête dans son élan pour rejoindre humblement le petit peuple des chrétiens. Les fidèles pourront peut-être hésiter quelque temps à faire confiance en ce nouveau converti. Comme j’aimerais pouvoir célébrer en ce jour la réconciliation de tous ces intégristes généreux et de bonne foi qui accepteraient humblement de reprendre place dans la communauté. Mais à ma connaissance rien ne semble indiquer un changement quelconque chez ces hommes du refus !

Coup dur
  Je me réjouirais sans hésitation si je pouvais lire cette décision du Pape comme un geste de justice et de fidélité à nos propres valeurs. Le président Obama ferme la prison de Guantanamo dans cet esprit. Si l’Église renonçait à l’excommunication comme une démarche d’un autre âge, je comprendrais. Mais il ne s’agit certainement pas de cela.
  Je me réjouirais si je pouvais dire en ce dernier jour de la Semaine de l’Unité qu’un geste de réconciliation marque un pas vers l’unité désirée selon la prière du Christ. Mais quand je sais que l’œcuménisme a été l’un des arguments décisifs du départ de ces gens qui nous reprochaient notre ouverture vers les protestants et les orthodoxes, je n’y vois au contraire qu’une nouvelle difficulté sur le chemin de l’unité.
 
  Ancien évêque sans responsabilité, je peux dire, avec une simplicité que n’ont pas aisément ceux qui sont encore en poste, quelle est la dureté du coup qu’ils reçoivent. Ils devront bientôt voir venir vers eux avec un sourire hautain ceux qui depuis des années ont nargué leur autorité. Ils auront à gérer le trouble que cette décision va inévitablement produire parmi tous leurs collaborateurs, prêtres et laïcs. Ils seront humiliés du manque de confiance que le Pape leur fait après avoir ignoré tant de démarches et de courriers sur ce sujet. Ils souffriront de cet obstacle supplémentaire mis sur le chemin de l’Église pour tous ceux que l’Évangile appelle.
  
  Pour ne pas rester à une plainte il nous reste à espérer que tant de générosité, et tant d’indulgence témoignées par le Père commun, touchera ces fils aînés sans tolérance et sans charité. La Conversion de Paul est peut-être l’occasion de prier pour la Conversion des Intégristes. Sauront-ils, en rencontrant le visage douloureux et bienveillant du Christ, quitter la suffisance de leurs certitudes pour prendre place humblement dans le peuple chrétien. Nous nous réjouirons alors s’ils apportent, comme Paul a su le faire, leur dynamisme pour l’annonce de l’Évangile.

* Jacques Noyer est évêque émérite d'Amiens

  Je ne demande pas qu’on change l’Eglise. Je demande qu’elle soit vivante. Je réclame qu’elle reste fidèle à sa mission, qu’elle porte la parole du Christ à nos contemporains, qu’elle témoigne du monde renouvelé par l’Esprit. Il ne s’agit pas de la conserver comme un trésor au risque d’en faire un conservatoire des mœurs d’antan. Il ne s’agit pas de la rafistoler par quelques astuces pour qu’elle survive un hiver ou deux de plus. Il s’agit qu’elle trouve les gestes et les mots qui diront Dieu au monde d’aujourd’hui.

  Elle est mon Eglise et il n’est pas question de me désolidariser d’elle. J’assume son histoire avec fierté souvent, avec honte parfois, avec résignation toujours. Je prends tout en elle, le meilleur et le pire, les croisades et les conciles, Alexandre VI et Jean-Paul II, la cours de Rome et les saints. Je crois que cette histoire d’hommes avec ses héros et ses lâches, ses audaces et ses calculs, n’est sainte que par l’Evangile qu’elle porte.

  Je lui demande seulement de rester dans l’histoire sans se figer dans l’éternel. Je lui demande de ne pas sacraliser son passé au point d’être indisponible au présent. Je l’implore de renoncer aux réussites mondaines et aux vaines richesses pour ne pas « contrister » l’Esprit qui l’appelle.

  J’aimerais qu’elle se rendre compte qu’il lui faut changer parce que le monde qui est le champ de sa mission change. Il me plairait qu’elle reconnaisse le travail de l’Esprit mieux que les traces du démon. Les nouveautés ne sont pas forcément des valeurs qui se perdent mais souvent aussi des « signes des temps », prémices du Royaume. Il faut qu’elle ouvre les portes de l’espérance au lieu de cultiver les archives de la nostalgie.

  Elle a inventé l’école pour tous. Elle a appris aux hommes à lire et à écrire. Elle a voulu que l’homme grandisse mais elle s’affole aujourd’hui parce que son discours ne passe plus. Son « catéchisme » peut être aussi riche et cohérent que possible mais des hommes adultes n’attendent plus un catéchisme. Ils souhaitent qu’on écoute leurs questions avant de leur donner des réponses. Ils préfèrent dialoguer avec Dieu plutôt qu’on leur parle de Lui.

  Elle a dénoncé les mariages d’intérêts, les unions arrangées par les parents. Elle a défendu la liberté des époux et promu l’amour au cœur du couple. Mais elle est toute surprise aujourd’hui qu’on n’accepte plus la triste fidélité hypocrite d’autrefois. La Bible nous parle pourtant d’une alliance d’amour en permanence trahie et en permanence renouvelée.

  Elle a voulu l’éducation des filles. Elle les a encouragée à prendre leurs responsabilités Elle se réjouit de les voir accéder à une vocation personnelle. Elle sait la place qu’elles tiennent concrètement dans la vie quotidienne des communautés. Mais la voilà toute perdue parce que les femmes acceptent mal qu’on leur refuse, dans la vie de l’Eglise, les responsabilités de direction. 

  Elle a développé un discours sur la sexualité, la chasteté, le célibat, la virginité, moins à partir de la tradition biblique qu’à travers une philosophie néo-platonicienne et une anthropologie naïve. Elle s’étonne que le monde d’aujourd’hui comprenne mal son propos et peine à retrouver un Dieu qui a pris corps et qui a donné son corps pour le salut du monde.

  La Pentecôte rassemble la diversité des peuples dans un même Esprit. L’Eglise -et l’église catholique en particulier- a tout fait pour pacifier les frontières et encourager les échanges. Elle ne saurait se contenter d’inviter les nations riches à reconnaître leurs racines chrétiennes en ignorant le brassage de populations, contrôlé ou pas, qui bouscule les états, les consciences et les nations.

  De tout temps la grandeur de l’Eglise a été de prendre le parti des pauvres. Même quand elle ne savait pas apporter la justice elle consolait par sa charité. Aujourd’hui encore des chrétiens sont présents dans la recherche d’une politique plus juste et dans les urgences caritatives. C’est là qu’on comprend le Christ. C’est là qu’on attend ses disciples. Mais les media s’amusent à ne voir l’Eglise qu’à travers un pontife jouant au dernier monarque absolu, dans un cérémonial d’un autre âge, loin des problèmes de fins de mois de ses auditeurs.

  Un cri comme celui-ci vers qui le faire entendre ? Une prière comme celle-ci vers quel saint l’adresser ? A quelle adresse poster ce courrier ? Y a-t-il une chance de changer quelque chose ? La lourdeur de l’administration vaticane -ce n’est pas un mammouth mais une énorme baleine échouée sur le sable- donne l’impression que rien ne peur la réveiller. Mes mots ne feront pas plus de bruit que l’aile d’un papillon sur le dos du cétacé. Mais, après tout, on sait qu’un vol de papillon dans l’hémisphère sud peut engendrer une tempête dans l’hémisphère nord. Et puis il y a beaucoup de papillons. Et puis dans le vent qu’ils font souffle aussi l’Esprit. Pourquoi ne seraient –ils pas capables de réveiller la baleine : une grande marée et un petit ouragan et la voilà remise à l’eau, légère et vivante !